L'ORTHOGRAPHE ET LE VOCABULAIRE

DE LA NOUVELLE-FRANCE

EN 1673
 

par Mario Scott




La recherche généalogique nous amène obligatoirement à consulter des archives. Il arrive que ces documents, vieux de quelques siècles, soient difficiles à lire. Quelle curieuse orthographe on utilisait en ce temps-là ! Et que dire du vocabulaire de nos ancêtres. J'ai fouillé mes notes afin d'en partager quelques-unes avec vous. Des petites choses intéressantes que j'ai trouvées lors de mes recherches. Rien de prétentieux car je ne suis ni paléographe ni linguiste. Juste des petits clins d'œil sur le passé, pour notre plaisir.
 
 

L'orthographe et la ponctuation
 
 

Aux environs du XVIIième siècle il n'existe à peu près pas de ponctuation dans l'écriture de la langue française. Et que dire de l'orthographe dont voici un exemple tiré d'un document d'époque :
 
 

"…ay enterré…le corps d'une vieille dame…, Irlandoise de nation, dont je n'ay pu sçavoirny le nom de bapteme ny celuy de famille, …connue dans les costes…, morte hier au soir…, elle avait demandé un prestre…"
 
 

(Extrait du certificat d'inhumation de ma 8ième arrière-grand-mère, d'origine allemande, Anne-Marie Von Seck, inhumée, à Saint-François de Sales, le 5 décembre 1722)
 
 

On constate, dans cet extrait, que l'accent circonflexe est remplacé pas un "S", dans les mots "costes" (côtes) et "prestre" (prêtre). De plus, on a utilisé la voyelle "Y" au lieu du "I" (ay, ny, celuy). Remarquez aussi comment le rédacteur, un prêtre, a écrit le mot "sçavoir".
 
 

On orthographie, parfois, certains mots avec un accent aigu, comme dans le document précédent pour le mot "demandé", mais ce n'est pas fréquent.
 
 

Il n'est pas rare de lire les patronymes Ménard, Bénard, Décarie et Benoît orthographiés ainsi: Mesnard, Besnard, Descary et Benoist. On utilise donc un "S", non seulement à la place de l'accent circonflexe, comme pour les mots précédents, mais aussi en remplacement, si je peux m'exprimer ainsi, de l'accent aigu.
 
 

Vous avez sans doute aussi remarqué que nos ancêtres utilisaient la lettre "F" en lieu et place de la consonne "S". Un fubfequent (subséquent) mariage, fur ceux (sur ceux), qui fe marient (qui se marient), eft la caufe (est la cause), font (sont) de mauvaise humeur.
 
 

De plus, on écrivait "Irlandoise", comme on peut le constater dans le premier exemple, "Anglois" et "François", plutôt que "Irlandaise", "Anglais" et "Français". Même certains noms de famille, comme "Caron", subissait le même sort; "Coron". Un de ces mots désignant une nation: Anglois (anglais), est devenu un nom de famille fort populaire encore aujourd'hui ; le patronyme Langlois (l'anglais).
 
 

Une petite anecdote énigmatique? Abraham Martin, dit l'Écossais, en l'honneur de qui les plaines de Québec furent nommées, était marié à Marguerite Langlois. Un écossais et une descendante "angloise" ?
 
 

Certains mots se terminant, aujourd'hui, en "É", comme "dé", ou en "ET", comme "beignet", s'écrivaient avec un "Z". Ces mots se lisaient à l'époque "dez" et "baignez".
 
 

Pour le féminin de "Neuf" nos ancêtres semblent hésiter entre la forme masculine et la forme féminine. Le mot devient "Neufve". Comme on peut le constater dans l'orthographe de "Neufve-France" (Nouvelle-France).
 
 

L'imprimerie
 
 

Plus tard, lorsque l'on a commencé à imprimer des documents, la lettre "W" n'existait pas. Du moins chez les artisans. Après s'être penché sur le problème, ils ont trouvé cette solution orthographique faisant fi de la façon dont les lecteurs prononceraient cet amalgame. Ils ont tout simplement substitué la consonne "W" par deux autres lettres de l'alphabet. Les voyelles "O" et "U". Mais comme il s'agit de deux lettres pour n'en remplacer qu'une, on a tout bonnement mis ces lettres l'une par-dessus l'autre. Cela ressemble typographiquement au chiffre "8". Ainsi, le nom de l'ancêtre algonquienne de mon épouse, Marie Mitcominqui Mitéwamégoukwé, apparaît de cette façon : "Mite8amegouk8e". Tentez l'expérience, essayez de lire ce patronyme à voix haute.
 
 

Le vocabulaire
 
 

Tenez, faisons un petit exercice. Nous sommes en 1673.
 
 

"La mère demanda à sa fille aînée de lui donner la baille et de passer le ballaypendant qu'elle prépare des baignez et met de la basane sur les pantoufles".
 
 

Avez-vous réussi à décoder les mots dans cette phrase ? Pas évident, n'est-ce pas ? Voici la solution.
 
 

La mère a demandé à sa fille de lui donner un seau (sorte de récipient de bois), de passer le balai, fabriqué avec des rameaux de cèdre (imaginez ce que cela devait avoir l'air en sachant que c'est de là que nous vient l'expression "fou comme un balai (de cèdre)"), pendant qu'elle prépare les baignez, vous l'avez sans doute deviné, ce sont des beignets (cuits dans la graisse bouillante) et la basane est une peau de mouton dont on se sert pour couvrir les livres, les pantoufles...
 
 

Nos ancêtres savaient tout de même s'amuser. A l'occasion ils allaient dans un berlan, une maison où on "donne publiquement à jouer aux dez ou aux cartes".
 
 

Si je vous dis "billet", cela vous fait penser à une contravention ou à un billet doux, une monnaie d'échange ? Mais ce n'est pas cela du tout. En Nouvelle-France, le billet en question était indispensable pour le soldat du régiment De Carignan. Son officier lui assignait un endroit où loger, chez un habitant, grâce à un billet signé que le pensionnaire devait conserver sur lui. A noter que le mot "habitant" désignait les cultivateurs et n'était pas du tout péjoratif. Nos ancêtres, d'ailleurs, étaient fiers d'être appelés ainsi. Le terme décrivait "celui qui habite et cultive cette terre" et non pas une classe "sociale".
 
 

Tenez, si vous me le permettez, profitons en afin de clarifier une fois pour toute cette croyance. Le "H" sur l'écusson du Canadien ne veut pas dire "Habitant". Même si les anglophones scandent "Go Habs, Go !", cela n'a rien à voir. Il signifie "Hockey". Sur le sigle nous retrouvons deux "C", un bleu et un rouge, et un "H" pour "Club de Hockey Canadien"). Bon ! Pardonnez-moi de m'être égaré, revenons à nos moutons.
 
 

Tout le monde sait ce qu'est une "cabane". Mais en ce XVIIième siècle, ce n'est pas ce que vous croyez! La cabane, chez nos ancêtres, était un assemblage de planches, mesurant de cinq à six pieds de hauteur par quelque sept pieds de longueur. Les ouvertures étaient closes par des rideaux. C'est la version québécoise d'un meuble normand ; le lit-alcôve. La cabane était ordinairement placée dans un coin de la pièce afin d'éviter que le froid n'y pénètre. C'était donc là où dormait notre ancêtre, l'hiver, afin de se protéger des rigueurs du froid.
 
 

Tiens un mot ancien "cannessons" qui phonétiquement se ressemble encore de nos jours. Vous avez deviné qu'il s'agit de caleçons. Mais oubliez le confort du coton ou autre. A cette époque ils sont faits de cuir et sont surtout portés par les hommes, au cours de la seconde partie du XVIIième siècle. En fait cet article ressemble au "brayet" que les Indiens portent et que l'on voit dans les films westerns. Un spécimen de ce sous-vêtement fut trouvé lors de l'inventaire de la garde-robe du sieur De Brucy, après son décès, le 15 ou 16 octobre 1674.
 
 

Pauvre petit champis ! Il s'agit d'un enfant illégitime.
 
 

Si vous "désemparez"votre femme ou votre mari, à cette époque, vous la ou le quitter, l'abandonner. Comment ne pas l'être si cela est inattendu?
 
 

Si c'est elle qui désempare, il y a de fortes chances que son mari soit un cornard.
 
 

Du moins c'est ainsi que l'on se serait moqué de lui, car elle lui aurait fait porter des cornes.
 
 

Tout le monde connaît le fisque. Cette version ancienne désigne, au XVIIième siècle, le trésor royal.
 
 

Aujourd'hui on va au guichet automatique pour faire ses transactions bancaires. Mais à cette époque, le guichetz sert plutôt aux gens peu recommandables. Il s'agit des portes d'une prison, par où passe le prisonnier lorsqu'il est écroué.
 
 

Vous faites flores lorsque vous faites de la dépense qui éclate, qui vous donne l'avantage sur les autres de même condition.
 
 

Pour se protéger des rigueurs de l'hiver, la femme se vêtait de trois jupes. Chacune d'elle était désignée sous un nom différent. Celle que l'on voyait s'appelait la modeste. Sous celle-ci elle portait la friponne. Et, en-dessous, celle que l'on ne voyait jamais… la secrète.
 
 

Au retour du beau temps, la paysanne porte un jupon de tissu grossier appelé le cotillon. On disait, alors, "courir le cotillon". Expression qui est fort probablement l'ancêtre de la version moderne "courir le jupon". Autre temps, même mœurs.
 
 

J'espère que ce petit lexique historique, sans prétention, aura l'heur de vous plaire et que vous ne lirez plus jamais de la même façon ces documents de notre passé.